
1000 jours pour changer l’avenir : Le pari du Bénin expliqué par le DG ANAN

1000 jours pour changer l’avenir : Le pari du Bénin expliqué par le DG ANAN
« La malnutrition n’est pas une fatalité, voici notre plan pour en venir à bout »
Face à des indicateurs de malnutrition infantile alarmants qui persistent depuis une décennie, le Bénin a décidé de passer à l’offensive. Pilier de cette nouvelle stratégie, l’Agence Nationale de l’Alimentation et de la Nutrition (ANAN), dirigée par Alain Hinkati, orchestre un programme révolutionnaire : la supplémentation nutritionnelle gratuite durant les 1000 premiers jours de vie, de la conception aux deux ans de l’enfant.
Dans cet entretien, le Directeur Général détaille les raisons de ce projet qualifié « d’investissement stratégique à fort impact » pour le capital humain béninois. Il en explique les mécanismes, des distributions pilotes lancées dans 13 communes à la généralisation prévue d’ici 2027, et revient sur les premiers signes encourageants observés sur le terrain. Alain Hinkati évoque également les ambitions de la conférence internationale que le Bénin s’apprête à organiser, avec la présence notable de la Prix Nobel d’économie Esther Duflo, pour placer la nutrition au cœur des politiques de développement.
Interview avec le DG ANAN, Alain HINKATI
Sur le programme de supplémentation nutritionnelle des 1000 premiers jours
Monsieur le Directeur Général, pouvez-vous rappeler brièvement ce que représentent les 1000 premiers jours de vie et pourquoi ils sont essentiels pour l’avenir d’un enfant ?
Les 1000 premiers jours c’est la période qui court de la conception de l’enfant jusqu’à ses deux ans. Selon les experts en nutrition, c’est une période critique où se forgent le capital de santé et les capacités cognitives de l’enfant pour toute sa vie. Les carences nutritionnelles durant cette période peuvent avoir des effets irréversibles. Par conséquent, chaque dépense consentie pour la nutrition des enfants dans cette période n’est pas une simple charge, mais un investissement stratégique à fort impact pour renforcer le capital humain.
Pourquoi le gouvernement a-t-il lancé ce programme de supplémentation nutritionnelle, et pourquoi l’a-t-il confié à l’ANAN ?
Le gouvernement du Bénin a lancé le Projet de supplémentation nutritionnelle des 1000 premiers jours pour répondre aux défis persistants en matière de nutrition au Bénin. Il est constaté que l’inaction ou l’insuffisance d’action de l’Etat est en train de créer des préjudices sur les enfants dans le domaine de la nutrition. Depuis plus de 10 ans, la prévalence de la malnutrition ne s’est pas améliorée et à même tendance à se dégrader. Plus d’un tiers des enfants de moins de 5 ans souffrent de retard de croissance selon les récentes études et la malnutrition aigüe touche près de 9% des enfants de cette catégorie. La situation est alarmante et il y a donc lieu d’adopter une solution plus appropriée. C’est ce qui a justifié le lancement du nouveau projet de supplémentation nutritionnelle des 1000 premiers jours qui se positionne comme un projet novateur et révolutionnaire qui vient compléter et dynamiser les initiatives multisectorielles existantes en vue d’accélérer la production d’impact dans le domaine de la lutte contre la malnutrition. C’est un projet conçu principalement pour engager des activités de prévention de la malnutrition chez les populations les plus vulnérables à savoir les femmes enceintes et les femmes allaitantes et les enfants de 6 mois à 2 ans.
C’est un projet complexe en raison de son caractère communautaire (besoin de participation des communautés) et multisectoriel, toutes choses qui appellent la mise en place de partenariats efficaces pour une mise en œuvre adéquate.
C’est donc pour tenir compte de sa dimension multisectorielle et communautaire, et de l’importance stratégique du Projet pour la santé des populations que le gouvernement du Bénin a créé depuis 2023 une agence spécialement dédiée à la coordination de sa gestion. Il s’agit de l’ANAN que j’ai l’honneur de diriger et qui est chargée de coordonner les interventions de l’Etat dans le domaine de la nutrition et de l’alimentation et en particulier de l’alimentation scolaire.
L’approche adoptée permet de gérer de manière cohérente et avec le même cadre institutionnel les interventions spécifiques de l’Etat dans le domaine de la nutrition et de l’alimentation de la conception des enfants jusqu’à l’âge scolaire : De façon schématique :
de 0 à 2ans, le projet 1000 jours prend en charge les enfants avec les suppléments nutritionnels offerts aux femmes et aux enfants ciblés.
de 2 ans à 5ans donc dans l’intervalle des 1000 jours suivants les 1ers mille jours, les acquis sont confortés par des initiatives spécifiques telles les supplémentations en fer et en vitamines A et les fournitures de farines enrichies.
A partir de 5ans, l’enfant démarre le cycle scolaire et est intégré dans le programme d’alimentation scolaire du gouvernement dont la gestion est totalement prise en charge par l’ANAN depuis l’année scolaire 2024-2025.
En dehors du programme 1000 jours et du Programme d’alimentation scolaire, des interventions spécifiques seront élaborés et mises en œuvre par l’ANAN dans le domaine de la nutrition au profit des adolescents, des adultes et d’autres couches spécifiques de la populations dans le cadre de la mise en œuvre de la politique nationale d’alimentation et de la nutrition.
Quels sont les suppléments distribués et à qui s’adressent-ils concrètement ?
Deux formes de suppléments nutritionnels qui sont des concentrés de macronutriments, vitamines et des sels minéraux sont distribués dans le cadre du Projet, l’un destiné aux femmes enceintes et aux femmes allaitantes et l’autre destiné aux enfants de 6 mois à 2ans.
En général, le programme n’est pas réservé à une catégorie de la population puisqu’il s’agit d’une intervention de prévention de la malnutrition qui s’adresse à tous les ménages, sans distinction de revenus, afin de protéger chaque enfant béninois. Les dernières enquêtes ont en effet montré que la pauvreté alimentaire touche aussi bien les foyers modestes que les ménages aisés.
En dehors des suppléments nutritionnels, deux autres types de services sont gratuitement fournis aux populations ciblées :
La dispense des frais de consultation prénatale dans les centres de santé publics (ces frais sont remboursés aux centres concernés sur les subventions reçues par l’ANAN).
Les actions de communication et de la promotion de la bonne nutrition qui profitent à toute la population sans exception et qui visent le changement de comportement par rapport aux habitudes
Quelles sont les zones couvertes et comment se déroule la mise en œuvre sur le terrain ?
Nous avons retenu une approche graduelle pour la mise en œuvre du PSN à travers des expériences pilotes. Cette année 2025, 13 communes ont été programmées pour être enrôlées et nous avons déjà lancé la distribution des suppléments nutritionnels dans5 communes depuis Juillet 2025 (, Allada, Bopa , Gogounou, Malanville et sinendé) et il reste 8 communes à couvrir à partir de Novembre 2025 ( Djidja, zogbodomey, Ifangni, karimama , kerou, avrankou, akpro misereté , Adjara).
Quels résultats ou impacts observe-t-on déjà depuis le lancement du programme ?
Il est trop tôt pour apprécier de manière globale l’impact du programme sur les bénéficiaires. Ce qu’il est aisé de constater au cours de la phase pilote, est que les femmes enrôlées qui ont accouché ont eu des enfants dont les poids à la naissance sont conformes aux normes attendues. Nous avons également enregistré des témoignages qui font état de ce que les enfants enrôlés ont développé moins de maladies infantiles.
Enfin, quelles sont les perspectives pour ce programme dans les années à venir ?
Il est prévu une généralisation de la mise en œuvre du PSN dans toutes les communes du Bénin d’ici 2027.
Quel est l’objectif principal de cette conférence internationale que le Bénin organise ?
L’objectif principal de la conférence internationale sur la nutrition au Bénin est d’éveiller l’attention des populations et des partenaires sur l’importance de la promotion de la nutrition dans les politiques de développement particulièrement ce qui concerne les pays africains.
De façon spécifique, il s’agit de partager les résultats des recherches scientifiques par rapport au fardeau intergénérationnel de la malnutrition, et
de susciter des discussions sur des retours d’expériences de programmes ou d’initiatives réussies dans le domaine de la promotion de la nutrition à travers le monde.
Quels acteurs majeurs sont attendus et autour de quels thèmes centraux vont porter les échanges ?
La conférence connaîtra la participation d’éminents orateurs comme le professeur ESTHER DUFLO, Prix Nobel d’économie qui va délivrer la communication inaugurale sur les avantages économiques et humains de l’investissement dans la nutrition.
D’autres intervenants qui sont des chercheurs ou des praticiens de la nutrition sont attendus de l’Afrique, de l’Asie, du Canada et d’Europe pour partager des expériences diversifiées sur le sujet.
Quelles sont les attentes concrètes pour le Bénin et les autres pays participants à l’issue de cette rencontre ?
Les attentes pour le Bénin et les autres participants, ce sont les partages d’expérience et de connaissances scientifiques qui vont éclairer la définition et la mise en œuvre de politiques publiques dans le domaine de la nutrition.
Enfin, quel message clé souhaitez-vous adresser aux populations et aux partenaires ?
Face aux enjeux que la nutrition présente aujourd’hui pour le développement du capital humain, l’investissement dans la nutrition doit être privilégié dans toutes les politiques de développement et d’aide au développement. C’est pourquoi nous invitons les populations et les partenaires, chacun en ce qui le concerne, pour que les contributions attendues soient diligemment concédées pour faciliter la synergie d’actions qui est indispensable pour concrétiser (ou réussir) cette noble initiative, garantir un avenir sain pour les générations montantes.


