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Politique

Bénin/2 ans d’incarcération de Madougou-Conséquences de l’avis du GTDA : Son avocat Agbodjo en parle

  • En réponse à l’avis du Gtda, le gouvernement a encore deux mois pour la libérer la ministre Réckya Madougou
  • Silence suspect du gouvernement sur l’avis du Gtda
  • L’intégralité de notre entretien avec Me Agbodjo

03 Mars 2021- 03 mars 2023, cela fait exactement deux ans que la candidate à la présidentielle de 2021 sous la bannière du parti Les Démocrates, Réckya Madougou, a été arrêtée et continue de séjourner en prison. En deux ans, beaucoup d’actions ont été menées par ses avocats, parents et autres pour la voir enfin libre. Mais ce n’est pas encore le cas au regard de la gestion que le gouvernement Talon fait de ce dossier et surtout de l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire. Suivant cet avis, le gouvernement a encore deux mois pour la libérer. Quelles sont les circonstances de son arrestation et les raisons qui la sous-tendent ? Pourquoi ce silence du gouvernement par rapport à l’avis du GTDA ? Quel est aujourd’hui l’état d’âme de la détenue politique ?

Ce sont entre autres les questions auxquelles a répondu Me Renaud Agbodjo au cours de l’émission Entretien d’Afrique de BL TV ce jeudi 03 mars 2023.

-Chers amis internautes, Entretien d’Afrique reçoit aujourd’hui Maître Renaud Agbodjo, conseil de Madame Réckya Madougou, l’opposante du parti Les Démocrates actuellement qui est actuellement incarcérée à Missérété. Maître Agbodjo, cela fait aujourd’hui deux ans que l’opposante Réckya Madougou est en prison. Quelles sont les circonstances dans lesquelles elle a été arrêtée, et quelles sont les raisons qui sous-tendent cette arrestation ?

Effectivement, le 3 mars 2023 marque les deux ans jour pour jour de l’arrestation arbitraire de Madame la ministre Réckya Madougou, à l’époque candidate du parti politique Les Démocrates pour l’élection présidentielle du 11 avril 2021. Pour faire court, si vous vous en tenez uniquement aux faits, le moment et le lieu de l’arrestation, il n’y a pas à hésiter pour dire que c’est en rapport avec l’exercice de ses droits civiques et politiques, parce que c’est à la sortie d’un meeting politique co-organisé avec d’autres forces de l’opposition, qui était également compétitrices pour cette élection présidentielle, qu’elle a été arrêtée. Donc, il est évident qu’il y a un lien entre son arrestation et l’activité politique, notamment sa candidature à l’élection présidentielle de 2021.  C’est ce que nous avons tous dit d’ailleurs.

Je retiens, en tant que Béninois, que ça a été un jour très triste pour notre démocratie et un jour assez triste pour notre justice. Parce que dans le développement, je reviendrai là-dessus. C’est sur la base d’un mandat d’amener qui n’a pas été précédé de la moindre convocation qu’elle a été arrêtée par une horde de policiers cagoulés et lourdement armés, comme si on avait affaire à un repris de justice, un criminel qu’on venait chercher. Donc, ça renvoyait une mauvaise image de notre État au plan judiciaire, ainsi qu’au plan politique, compte tenu du contexte politique dans lequel nous étions à cette époque.

Maître, votre cliente à l’issue du procès a été condamnée à 20 ans de réclusion criminelle. Pourquoi n’avez-vous pas interjeté appel?

D’abord, il faut dire que Madame Madougou est une femme politique. Elle a été à l’initiative de beaucoup d’actions citoyennes. Elle a une carrière et une expérience politique qui font d’elle, en matière de leadership au niveau de la société civile, une référence. Madame Madougou a toujours respecté les institutions de la République, elle-même en sa qualité d’ancienne garde des sceaux. Il est étonnant que venant d’elle, elle décide de ne pas interjeter appel, n’étant pas satisfaite d’une décision de justice qui l’a condamnée. Le fait de ne pas interjeter appel est déjà un acte grave, c’est une décision grave et elle a des conséquences. La conséquence, c’est que la condamnation devient définitive et elle n’est plus susceptible d’un recours pour obtenir l’infirmation en droit interne. Alors c’est plutôt la motivation qu’il faut rechercher. Le mandat d’amener sur la base duquel elle a été arrêtée est un mandat d’amener qui disait que la situation était caractérisée par un flagrant délit. Ce qui n’était pas exact. Ensuite, elle n’a pas bénéficié de présomption d’innocence. Il est curieux alors qu’elle réunissait toutes les conditions de garantie de représentation, alors qu’elle a un domicile connu au Bénin, alors qu’elle était ministre de la République pendant 7 ans, alors qu’elle a des enfants au Bénin (tout le monde connaît la famille de Madame Reckya Madougou), et alors qu’elle était en pleine exercice d’un droit civique politique, notamment en tant que candidate du parti Les Démocrates. Elle a été, en dépit de tout, arrêtée et placée en détention sans même avoir la possibilité d’être mise sous contrôle judiciaire. Elle a été jugée en moins de 24h et condamnée lourdement à 20 ans de prison, là même où le prétendu témoin à charge était hors de cause. Vous voyez qu’à partir du moment où elle a été condamnée sans preuve, à partir du moment où les juges n’ont pas pris en compte les moyens pertinents et les preuves produites même à la barre par la défense, je pense que Madame Madougou, en toute évidence, a perdu la confiance en la justice béninoise. Et c’est ce qui a motivé son refus d’interjeter un appel. Elle ne l’a pas demandé et ne veut même pas le faire. Mais j’avoue que ça n’a pas été facile pour elle d’en arriver à cette décision-là. Elle a estimé que l’appel devra être connu par les mêmes juges de la Criet et que la Criet n’étant pas indépendante, il était illusoire pour elle d’interjeter quelque appel que ce soit et de se concentrer sur les procédures à l’international.

-À l’international, comme vous le dites, il y a eu des procédures. Est-ce que vos avocats ont tenté d’autres actions ? Si c’est le cas, aidez au moins nos compatriotes à comprendre ce qu’il en est aujourd’hui par rapport aux procédures qui s’offrent à vous ?

Je vous remercie. Vous savez, la mission de l’avocat est d’abord une mission de conseil, d’assistance et de défense. L’avocat propose des solutions, l’avocat agit dans l’intérêt de la reconnaissance de son client. Et c’est dans cette optique que, cette concertation avec les confrères qui constituent le dossier, nous avons opté pour la saisie du Groupe de travail des experts indépendants des Nations unies. D’abord, je vais vous expliquer ce qu’est le Groupe de travail des experts indépendants des Nations unies. Le groupe de travail des experts indépendants des Nations unies est une création du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies est lui-même une institution spécialisée des Nations unies, de sorte que ces experts que nous ne connaissons pas. Moi je n’ai jamais rencontré un expert du groupe de travail indépendant des Nations unies, je ne connais même pas un nom, je ne connais même pas ceux qui ont statué sur l’avis. C’est justement parce que le mécanisme de fonctionnement du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire tient compte de la transparence et de la crédibilité de la décision, de sorte que nous avons échangé uniquement par voie de mail. Aucun des avocats, aucun  des membres de la famille  de Réckya Madougou n’a rencontré un quelconque expert des Nations unies, tout juste pour préserver la crédibilité de cette institution de protection des droits de l’homme, qui a un caractère international en matière de détention arbitraire. C’est pour vous donner une idée déjà du sérieux de cette institution de protection des droits de l’homme.

Nous avons estimé qu’à partir du moment où Madame Réckya Madougou a été condamnée sur la base d’une accusation aussi grave qu’est le financement de terrorisme, il était important qu’un arbitre à équidistance de toutes les parties se saisisse de la même question et apprécie les pièces des uns et des autres. Pour dire si effectivement le mandat d’amener décerné par le procureur spécial de la Criet est fondé en droit. Pour dire si effectivement Madame Madougou ne méritait pas d’être mise sous contrôle judiciaire alors qu’elle offrait des gages de représentation.

Pour dire si c’est normal que Madame Madougou soit arrêtée dans ces conditions alors qu’elle était candidate d’un parti politique en plein exercice de ces droits civiques et politiques. Pour dire si la détention de Madame Madougou et in fine sa condamnation à 20 ans est conforme aux pactes internationaux sur les droits civiques et politiques au regard des pièces que nous détenions et au regard des pièces contenues dans le dossier judiciaire et auxquelles nous avions pu avoir accès.

Alors, il est aussi important de préciser que le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations Unies qui est une institution du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, regroupe tous les pays membres des Nations Unies. Mais à l’époque actuelle, ce ne sont pas tous les pays qui figurent au sein du comité même des droits de l’homme des Nations Unies. Je vais dire que c’est un concours de circonstance mais  heureux pour nous pour renforcer le crédit de votre décision. Vous aviez appris en 2021 que le Bénin a été élu comme membre du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Ce qui veut dire que le Bénin était au fait de tout ce qui pouvait être fait dans le sens de défendre sa position sur le dossier de madame Madougou. Quand nous avons saisi le Groupe de travail sur la base d’un recours, notre requête a été communiquée à l’État Béninois.

L’État béninois avait un délai de deux mois pour produire ses observations en réponse avec les preuves notamment des preuves écrites, des procès-verbaux, des audios, des enregistrements, toutes formes de preuves pouvant justifier une affirmation est admissible devant le GTDA.

Le gouvernement béninois avait la possibilité de produire tous ces éléments dans le délai de deux mois. Le Groupe de travail a reçu les observations de l’État béninois. Vous savez comme la procédure est foncièrement contradictoire, rien ne se fait à l’insu de l’autre. Donc, le Groupe de travail nous a communiqué les observations de l’État béninois en nous donnant au lieu de deux mois, deux semaines pour réagir par rapport aux observations de l’État béninois. Nous avons vraiment dû mettre ces deux semaines à profit et nous avons apporté nos éléments complémentaires sur la situation de la détention de madame Madougou. La Session du Conseil des droits de l’homme a permis au Groupe de travail de se prononcer le 31 août 2022. De façon publique, les experts ont présenté leurs dossiers, statué et conclu que :

1- Le gouvernement du Bénin n’a fourni aucune preuve, aucun procès-verbal de témoignage, aucun échange téléphonique, aucun autre document à l’appui de cette déclaration quant à la déclaration présumée de madame Madougou dans un quelque projet d’assassinat politique. C’est ce qui est dit dans l’avis du 31 août 2022. Mais le GTDA est allé plus loin tout en ne se substituant aux juridictions béninoises pour faire le travail de la justice béninoise à sa place mais plutôt elle s’est basée sur les affirmations de chacune des parties pour savoir s’il y a détention arbitraire ou pas. Or déclarer qu’une personne est en détention arbitraire ou pas relève effectivement du mandat du Groupe de travail et des Nations Unies. A partir de cet instant où vous avez un avis auquel le gouvernement béninois a été intimement associé, vous avez un avis d’une institution qui est celle du Conseil des droits de l’homme dont est membre le gouvernement béninois, ça veut dire en principe que le gouvernement béninois en participant à la procédure  et se met dans les bonnes dispositions pour tenir compte de l’avis du GTDA.

On peut résumer l’avis de GTDA en trois mots. D’abord compte tenu de la situation dans laquelle Madame Madougou a été arrêtée, le groupe de travail a demandé que madame Madougou soit libérée immédiatement et sans condition. Une libération immédiate et sans condition au regard de la situation de son arrestation arbitraire et au regard des conditions de la violation de ces droits civiques et politiques. L’avis demande en plus que madame Madougou bénéficie d’une indemnisation c’est-à-dire en tant que femme politique, ancienne ministre, consultante internationale, elle a subi d’énormes préjudices aussi bien matériels que morales puisque son honorabilité a été gravement entachée par ces situations d’arrestation arbitraire et cela la met en difficulté par rapport à ses partenaires internationaux, les institutions internationales avec qui elle avait des projets à venir. Tous ces projets ont été mis en standby et ne peuvent pas être repris si son casier judiciaire n’était pas « lavé ». Tenant compte de toutes ces situations, il a été demandé qu’elle soit indemnisée. Ce qui veut dire en quelque sorte que cette indemnisation n’est pas non seulement une indemnisation matérielle mais aussi qu’elle soit restituée dans ses droits. Donc, l’indemnisation peut prendre plusieurs formes. En plus, voir dans quelle condition ! Je peux dire que le Groupe de travail a été choqué par cette violation assez flagrante des droits civiques et politiques. Il a été demandé au gouvernement béninois d’ouvrir une enquête indépendante pour déterminer les conditions de cette arrestation arbitraire et de prendre des mesures contre les différents responsables de cette détention sinon de cette arrestation arbitraire qu’elle a subie.

Donc, vous convenez avec moi que partant des conclusions de ce Groupe de travail, l’avocat que je suis avec mes confrères, nous ne pouvons que demander à tout le monde la remise en liberté sans condition de Réckya Madougou même si l’indemnisation peut venir après, même si l’enquête indépendante peut venir après.

C’est déjà ça le minimum auquel le gouvernement béninois doit pouvoir se plier.

-Quel est le poids de cet avis du GTDA sur le gouvernement ?

Je peux vous retourner la question. Quel est le poids d’une décision de justice ou le poids d’une décision mais politique sur un gouvernement ? Parce que ce qui constitue un État, c’est un gouvernement, une population, une géographie et un territoire, c’est d’abord la force publique

De quel type de pression dispose aujourd’hui ce groupe de travail des Nations Unies pour demander au gouvernement béninois d’avoir à respecter son avis ?

Je peux vous renvoyer à l’avis. Parce que l’avis justement a donné un délai de 06 mois au gouvernement béninois pour mettre en exécution cette décision. Et, les 06 mois ne sont pas encore passés. Parce que justement, nous ne tenons pas compte de la date à laquelle la décision a été rendue en interne c’est-à-dire le 31 août 2022 mais plutôt de la date à laquelle elle a été rendue publique. Elle a été rendue publique le 07 novembre 2022 et nous l’avons reçu de la même façon que nous l’avons saisi, dans notre boîte mail. Et évidemment, ce sont des décisions authentifiées. Et il est demandé au gouvernement béninois de prendre des décisions dans un délai de 06 mois conformément à cet avis.

Au cas où le gouvernement ne se conformerait pas à cet avis, quelles seront les conséquences ?

Vous savez, il serait pour moi un peu précipité de me substituer au gouvernement béninois pour dire que le gouvernement béninois n’exécuterait pas cette décision parce que je ne vois aucune motivation qu’elle soit juridique ou politique qui permettrait au gouvernement de ne pas exécuter cette décision. Parce que c’est quoi, le Bénin ? C’est d’abord un Etat de droit a priori. Le Bénin a ratifié un certain nombre d’instruments juridiques internationaux dont la déclaration universelle des droits de l’homme. Le Bénin est membre à part entière des Nations Unies. Et comme je l’ai dit tout à l’heure, le Bénin est membre du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Donc, ce serait se désengager de ces instruments auxquels le Bénin fait partie que de refuser de mettre à exécution un avis du GTDA. On pourrait être mis au banc des Nations qui foulent au pied le droit international si on ne s’engageait pas dans le sens recommandé par l’avis parce que le groupe de travail a demandé aux différentes parties que ce soit au gouvernement béninois ou aux avocats, de lui rendre compte des difficultés éventuelles qu’elles rencontreraient pour mettre à exécution cet avis. Ça veut dire que le groupe de travail n’a pas fait que rendre un avis. Ça veut dire que le groupe de travail compte suivre la mise à exécution de l’avis.

*De votre position, est-ce que le gouvernement béninois a émis une quelconque réserve par rapport aux difficultés qu’il pourrait avoir pour faire exécuter cette décision ? *

Je pense que c’est plutôt vous-même, monsieur le journaliste, qui devez nous dire si le gouvernement a émis une quelconque réserve puisque vous êtes mieux renseigné que nous. Mais pour ce que je sais, c’est qu’aucun officiel du gouvernement ne s’est prononcé sur les implications de cet avis. Donc, nous osons croire que pour le temps qui reste pour la mise à exécution de cet avis c’est-à- dire bientôt 2 mois si on commence à compter à partir du 07 Novembre 2022, nous sommes pratiquement à deux mois de l’expiration de cet avis.

*Pourquoi avoir survolé les instances africaines pour remonter directement à l’ONU par rapport à votre recours. Il n’y a pas d’instruments continentaux qui peuvent quand même connaitre de cette affaire que d’aller directement aux Etats Unis ? *

C’est un choix. C’est un choix stratégique. C’est un choix d’efficacité. Vous savez, on a voulu être plus efficace. On a voulu être technique mais on a voulu se retrouver devant une institution dont la crédibilité ne pouvait pas être mise en cause par l’Etat béninois. Nous aurions pu aller devant la Cour africaine des droits de l’homme, nous aurions pu aller devant la Cour de justice de la CEDEAO mais le Bénin n’est plus membre par exemple de la Cour africaine des droits de l’homme. Il s’est retiré. Donc, nous avions une marge de manœuvre assez réduite par rapport à la Cour africaine des droits de l’homme. Nous aurions pu également aller devant la Cour de justice de la CEDEAO, mais nous avions craint une lenteur procédurale qui aurait pu impacter négativement sur l’efficacité de la procédure. Voilà pourquoi nous avons saisi l’opportunité du Groupe de travail.

La candidate Réckya Madougou, ancienne ministre, votre cliente, est en détention mais visiblement on ne voit pas son parti politique Les Démocrates, donner de la voie contre cette détention. Vous, avocat, vous n’êtes pas politique certes, quel effet cela vous fait ?

Vous savez ce serait vite aller en besogne que de dire que le parti Les Démocrates ne fait rien. Vous avez bien fait de dire que je suis avocat et que je ne suis pas politique. Je ne suis pas dans le secret des dieux au niveau des instances du parti Les démocrates. Même s’il est vrai que je suis aussi l’avocat du président d’honneur du parti Les démocrates. Nous abordons la situation de la détention de madame Réckya Madougou ensemble avec le président Boni YAYI et je ne serai pas honnête en disant que le président d’honneur du parti Les démocrates ne fait rien pour que la situation de la détention arbitraire de madame Madougou prenne fin.

*Il y a un homme politique, je veux parler de Bertin Koovi qui la dernière fois dans ses chroniques souhaitait une solution politique à cette affaire judiciaire. Quelle est votre position par rapport à ça ? *  

Je l’ai toujours dit, j’estime qu’à partir du moment où madame Madougou s’est retrouvée en détention pour des raisons politiques, je dis bien strictement politique, la justice béninoise a été certes un rouleau compresseur mais la justice béninoise s’est aplatie au profit du système politique. C’est un secret de polichinelle et les exemples sont légion. Mais là n’est pas le problème parce que Dieu n’a pas permis que cette situation nous emporte ou dans tous les cas, ces faits sont passés. Mais ces faits ont entrainé des conséquences majeures dans la vie de Madame Madougou et de sa famille. Les élections d’avril 2021 sont consommées. Le chef de l’Etat Patrice Talon a été réélu. Que reste-t-il ? Il ne reste plus rien. Une solution politique.

*Et vous mettez quoi dans solution politique ? *

Je ne suis pas politicien. Les politiciens sont mieux placés pour trouver la formule. J’ai adhéré à cela parce que nous avons pu démontrer que ce sont des raisons politiques qui ont concouru à l’arrestation de notre cliente. Et par conséquent, la classe politique toute entière, toutes obédiences confondues, que ce soit de la mouvance ou de l’opposition, parce que madame Madougou en tant que ministre a des amis dans tous les bords politiques aussi bien au sein de l’opposition qu’au sein des partis de la mouvance présidentielle. Et la politique, je ne dirai pas que c’est un jeu de ruse mais ce sont des épreuves où l’on fait tout pour conquérir le pouvoir et l’exercer. Quand on crée un parti politique, son objectif principal de l’existence, c’est de rechercher les voies et moyens par lesquels il peut conquérir le pouvoir et l’exercer.

*Comme voies et moyens politiques, le chef de l’Etat récemment s’est vu gratifié d’une loi qui lui permet de sortir qui il veut des liens de la justice. Est-ce que c’est une aubaine pour vous ?

D’abord, est-ce que nous avons la preuve que cette loi a été prise pour X ou pour Y, parce qu’une loi c’est classique. Selon les caractéristiques d’une loi, elle a d’abord vocation d’être impersonnelle, d’être générale et d’être impérative. Ça veut dire qu’une loi ne peut jamais être prise pour régler une situation particulière et une fois qu’elle est réglée, on la met au placard. Donc, nous ne pouvons pas dire qu’en soi, c’est une aubaine pour nous. Sinon je pense que si c’était vraiment une aubaine pour madame Réckya Madougou, je pense qu’on aurait pu procéder autrement encore que cette loi qui vient modifier le code de procédure pénale et le compléter, demande à toute personne qui le voudrait de saisir le président de la république aux fins de suspension d’exercice de sa peine. C’est un recours gracieux qui est laissé à la libre discrétion du chef de l’Etat.

Mis sur la demande du demandeur ?

Je ne sais pas si je dois le dire ainsi pour ne pas frustrer ou bien pour ne pas être mal compris. Est-ce que la grâce présidentielle a besoin qu’on introduise une demande ?  Parce qu’il y a une loi sur la grâce présidentielle.

Pourquoi recourir encore à une autre loi alors que cette grâce présidentielle existe ?

C’est là mon interrogation. C’est-à-dire, il existe déjà des mécanismes, des instruments juridiques pour régler politiquement cette situation. Donc, je ne dirai pas : que cache cette volonté ou cette exigence d’attendre qu’un individu condamné fasse une demande de suspension de peine ? Est-ce que ce n’est pas reconnaitre que la décision qui l’a condamné est une décision juste ?

Et que faites-vous par rapport à cela ? La loi est déjà là, la requête est plausible. Pourquoi ne saisissez-vous pas cette main tendue du pouvoir en place ?

D’abord je ne suis pas la condamnée. Je suis le conseil. Quand je recevrai le mandat de ma cliente, de faire cette demande, je la ferai.

Lorsque vous allez voir votre cliente, quel est son état d’âme ?

Je la vois toutes les semaines, au moins deux fois par semaine. Nous en avons discuté quelque fois, il faut que j’aie honnêteté professionnelle de le dire.

Et quelle est sa position ? Est-ce qu’elle est disposée à faire ce type de recours ?

Sa position, je la garde pour moi. La vérité est que la question que nous nous posons aujourd’hui, c’est quelle est l’intérêt, l’opportunité de cette loi alors que le gouvernement a déjà reçu un avis de mise en liberté immédiate et sans condition de Réckya Madougou. Pourquoi insiste-t-on? Pourquoi fait-on quasiment pression ? Pourquoi attend-on que Réckya Madougou à la limite s’humilie, face à une demande de mise en liberté alors qu’il y a un avis d’une institution mondiale crédible en matière des droits de l’homme qui dit qu’il faut la mettre en liberté. Nous notre position n’est pas une position politique c’est une position technique juridique. Cette loi si elle devrait profiter à madame Madougou elle est inopportune.

Je vais vous situer dans le temps et vous verrez le contexte dans lequel cette loi a été prise. Elle a été prise à un moment donné entre septembre et octobre 2022. Je vous avoue que lorsque j’ai été informé par les canaux officieux et officiels que cette loi viendrait et pourrait peut-être probablement utilisée parce que j’ai suivi le porte-parole du gouvernement lors d’un de ses points de presse qui disais que Réckya et Joël sont par ailleurs ses amis et si d’aventure ils estiment qu’ils peuvent saisir cette opportunité, cette loi pourrait leur bénéficier. Nous étions entre septembre et octobre plus précisément le 21 septembre 2022.

Mais est-ce qu’à cette date le gouvernement béninois ne savait pas que l’avis du GTDA avait déjà été rendu ? Puisque que l’avis a été rendu la 31 Aout. Le gouvernement béninois étant membre du conseil des droits de l’homme et ayant un représentant, avait déjà connaissance de l’avis du GTDA avant nous même les avocats.

Ce qui nous intrigue pourquoi le gouvernement n’a pas pris le devant, anticiper en prenant une telle loi avant que le groupe de travail des nations unies se prononce et a attendu le prononcer de l’avis avant de prendre cette décision.

Ça veut dire que le groupe de travail aurait pu rendre un avis favorable au gouvernement. Donc, le gouvernement avait espoir que le groupe de travail rende un avis pour déclarer la détention de madame Madougou non arbitraire. Si nous étions dans ce cas de figure j’allais être le premier à demander à dame Madougou ‘’ nous n’avons plus le choix, les recours internes étant épuisés, les recours internationaux ayant échoué, nous n’avons plus le choix et moi sans votre mandat je saisie le chef de l’Etat.

Qu’est-ce qu’il en est aujourd’hui des conditions de détentions de Réckya Madougou ?

Je crois que c’est quand  même assez regrettable pour ceux qui ont eu la chance de voir madame Madougou quand elle reçoit les visites. Au moment où elle avait la possibilité de recevoir ses visites, je crois que ce n’est pas digne de notre l’administration carcérale. Madame Madougou reçoit ses visites debout sauf quand il s’agit de recevoir ses avocats. En dehors de ça, elle reçoit les visites de sa maman, ses frères, ses amis et même ses enfants debout et ce sur la surveillance auditive et visuelle de policier. Pendant qu’au moment où elle parle, les codétenus, d’autres visiteurs passent et écoutent tout ce qu’elle dit. On parle d’une ancienne ministre de justice, qui a signé la loi portant code de procédure pénale au Bénin.

Allez remonter dans l’histoire judiciaire de pays, sous Réckya Madougou, ministre de la justice, les magistrats ont vu leurs conditions nettement améliorées. Permettez-moi de faire ce rappel pour dire que la condamnation d’une personne ne veut pas dire que cette personne va devenir un paria.

Quand vous avez gardé une personne qui à un moment donné de votre carrière a été votre responsable, vous lui devez un minimum d’égard. Parce que pendant que madame Madougou reçoit sa famille debout, d’autres détenus reçoivent leurs parents dans de meilleures conditions.

Est-ce qu’il y a une autorité à laquelle vous aller vous fier pour rendre son séjour carcéral plus normal ?

Je ne me soucie pas de son séjour carcéral, je me soucie de la libération de Réckya Madougou, parce qu’il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre. Et je le lui dis. Je ne veux pas me perdre en plaidant pour votre condition carcérale. Certes, ce n’est pas accessoire mais je dis même si on ne veut pas libérer Réckya Madougou, immédiatement, il faut qu’on la traite humainement, avec dignité et avec le minimum d’égard qui est dû à son rang d’ancienne ministre et d’ancienne garde des sceaux. Parce que les moyens existent au vu du traitement qu’on fait aux autres détenus. Et ce serait faire preuve d’humanisme et de hauteur.

Madame Réckya Madougou, nous l’espérons vivement qu’une décision politique permettra sa libération pour qu’elle puisse reprendre l’exercice de ses droits civiques et politiques et pour qu’elle puisse reprendre l’exercice de ses activités professionnelles en tant que consultante internationale.

Qui vous dit que madame Madougou quand elle va sortir n’aura pas envie de se consacrer uniquement à son travail ? Qui vous dit quand elle va sortir elle n’aura pas envie de continuer le combat politique ? C’est elle seule qui le sait. Moi, je ne le sais pas. Mais pourquoi veut-on qu’elle sorte et qu’elle se taise à jamais ? Parce que justement la condition pour pouvoir bénéficier de la loi portant suspension de peine, c’est qu’à la discrétion du procureur spécial même si vous avez bénéficié de cette loi, on peut vous reprendre un beau matin et vous ramener. Or, dans le contexte de Réckya Madougou, la personne qui l’a arrêté, c’est le procureur spécial sur la base d’un mandat d’amener alors qu’il ne l’avait jamais convoqué auparavant et on dit qu’elle va sortir grâce à une mesure du Chef de l’État. Alors que le procureur spécial du jour au lendemain peut décider d’aller la chercher chez elle et la ramener à Missérété. Est-ce que vous pensez que c’est une suspension de peine ?

Si l’État béninois n’accède pas à l’avis du Groupe de travail des Nations Unies, qu’allez-vous faire ?

Je ne suis pas à la place du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire. Nous ne sommes pas membre du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire. Nous ne les avons jamais rencontrés. Ils nous ont demandé de les informer de la situation de Madame Madougou, de leur donner des informations sur la volonté ou pas du gouvernement de mettre en application l’avis. C’est ce que nous allons faire. Mais nous espérons ne pas avoir à le faire. C’est-à-dire que nous espérons que l’État béninois prendra la mesure de la situation pour parvenir à sa mise en liberté.

Un dernier mot à l’endroit de ces Béninois qui rêvent de voir un jour leur leader en liberté.

Déjà particulièrement à l’endroit de certaines personnes dont je ne voudrais pas citer les noms, c’est un remerciement parce que comme ils n’ont pas accès à madame Madougou, je reçois beaucoup d’appels, des messages de soutien, des messages d’encouragement au profit de madame Madougou. Il y a également des personnes qui par ma voix, lui adresse des lettres d’encouragement et des prières aussi, beaucoup de lecture. A toutes ces personnes au nom de Madame Madougou, je voudrais leur adresser ces remerciements et leur dire que c’est une situation carcérale qui n’est pas facile surtout pour une femme du rang de madame Madougou. Mais elle vit cette situation avec beaucoup de dignité et elle sait que la prière des personnes qui la portent dans leur cœur l’accompagne. Et elle espère véritablement les retrouver pour ensemble fêter sa libération par la grâce de Dieu et aussi par ma voix puisqu’avant que je ne vienne sur votre plateau, j’ai eu son accord pour le faire. Madame Madougou, je ne dirai pas que c’est une nouvelle personne avec qui je discute, mais madame Madougou est une autre femme aujourd’hui déjà quand vous lisez les textes qu’elle produit par mon biais, par le biais de certains acteurs, certains journalistes, vous voyez qu’elle est à fond dans les prières et les saintes écritures pour dire que la dimension spirituelle l’aide beaucoup dans cette épreuve. Et donc, c’est peut-être ce qui fait qu’elle tient encore après deux ans comme si c’était hier qu’elle a été placée en détention.

Propos transcrits par la Rédaction

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