« Le coup d’Etat au Niger parait surréaliste,… » Dira un observateur, car il est intervenu à un moment où la situation sécuritaire du Niger était plutôt sous contrôle et l’économie laissait entrevoir de bonnes perspectives pour les prochaines années. Les plus optimistes tablaient sur un taux de croissance de plus de 12% en 2024 et dans un contexte sociopolitique plutôt calme, sans tensions particulières. Ce qui explique en grande partie que dans les premières heures du putsch plusieurs organisations de la société civiles nigériennes et des populations sont sortis pour demander la restauration de l’Etat de droit. Il s’agit donc d’une situation préoccupante pour tous, à commencer par les Nigériens eux-mêmes. Depuis, plusieurs raisons sont agitées par les putschistes pour justifier leur coup. Elles valent ce qu’elles valent, mais personne n’est dupe. Quelles qu’elles puissent être, il demeurera en lame de fond la nécessité de la restauration de l’Etat de droit. Après, on pourrait toujours spéculer sur l’homme qu’il faut : Bazoum ou un nouvel outsider ?
Aujourd’hui, le cas nigérien inquiète plus d’un, sauf naturellement les quelques panafricanismes qui sévissent sur les réseaux sociaux réclamant un Niger sans Français et Américains, mais avec des Russes et éventuellement des Chinois. Ce qu’il faut savoir, c’est que contrairement aux autres coups de forces intervenus ces derniers mois dans la région, il existe bien un risque de répercussions de cette aventure militaire dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest. On peut même craindre un risque de contagion. Ce tableau n’est pas un fait nouveau dans la zone.
Pour mémoire, il y a un peu plus d’une trentaine d’années, la majorité des pays de la CEDEAO était sous la coupole de régimes militaires successifs : Guinée, Mali, Ghana, Burkina, Niger, Bénin, Sierra Léone, Liberia, Nigeria, Togo…Avec quelques ilots de civils comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Bien entendu, les résultats socioéconomiques étaient majoritairement catastrophiques pour ces pays, et à l’époque, on ne parlait pas encore de djihadisme, ce terrorisme débridé avec les conséquences désastreuses sur les populations civiles. Au bout du compte, cette vague de régimes militaires n’a pu mettre en évidence qu’une seule chose ; les militaires ne sont pas préparés à gérer des pays, mais à les défendre. Sous leur houlette, il eut au moins 3 décennies de tribulations au cours desquelles toutes les économies ont été pillées et une longue liste de droit de l’homme assidûment foulée au pied. Les séquelles de ces errements militaires ont marqué au fer rouge une génération d’Africains qui a espéré de tout son être une autre forme de gouvernance. Certes, la démocratie n’est pas la panacée, d’ailleurs, il existe des régimes démocratiquement élus qui ont un comportement dangereusement similaire à celui de militaires dictateurs. Cependant, leurs dégâts sont généralement moins importants que ceux de leurs homologues armés. Il faudrait donc expliquer à Tiani et compagnies pourquoi ils incarnent dans la région l’exemple à ne pas suivre. En plus, la séquestration de la famille du président démocratiquement élu vient ajouter une couche d’ambiguïté à leurs actions. Pourquoi chercher coûte que coûte à légaliser une action notoirement illégitime en prenant en otage des personnes innocentes ?
Une analyse de la situation au Niger avant le putsch, rend difficile la compréhension des motivations des militaires au pouvoir à Niamey. Désormais, avec les sanctions imposées et le resserrement de l’étau engagé par tous les partenaires du Niger, c’est un isolement qui se met en place. Or, il est évident que les premiers à payer le prix fort, seront les populations avec cette fois un compagnon d’infortune que sont les militaires engagés aux fronts contre le terrorisme.
Même si Burkinabés et Maliens se disent prêts à venir à la rescousse de leurs homologues nigériens, leurs déclarations s’apparentent plus à une boutade qu’à du sérieux. Aucun parmi eux n’a les moyens de s’offrir le luxe d’une guerre à l’étranger sans se saborder lui-même.
Au final, cette rupture dans le processus démocratique au Niger doit être découragée. D’ailleurs, plus la situation mettra du temps à revenir à la normale, plus l’édifice politique de la région courra un risque de contagion. Ne pas agir sera comme ouvrir une boite de Pandore. C’est alors qu’il ne faudra plus exclure que sous des prétextes tout aussi inédits que farfelus, les hommes en uniformes des pays frontaliers au Niger ou de la région se trouvent légitimement fondés à prendre le pouvoir dans leur pays respectif. Il ne faut pas oublier qu’il y a moins de 40 ans cette région était le bastion de régimes militaires. C’est pourquoi, il est impérieux de mettre fin à ce qui se trame à Niamey, de préférence par le dialogue, il y va de la stabilité de toute la région.
Eric TCHIAKPE Ecrivain