L’échec rapide et net de la tentative de coup d’État au Bénin dans la nuit du 7 décembre dernier aurait dû être unanimement salué comme une victoire pour la démocratie et la stabilité régionale en Afrique de l’Ouest. Pourtant, la réaction venue des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) – le Burkina Faso, le Mali et le Niger – interroge, voire inquiète. Loin de se féliciter de la préservation de l’ordre constitutionnel à Cotonou, certains relais, officieux ou officiels, de ces régimes ont choisi une autre voie : celle du doute systématique, du souhait inavoué, et d’une critique virulente contre les moyens ayant permis de sauver la démocratie béninoise.
Alors que le porte-parole du gouvernement, Wilfried Houngbédji, détaillait le scénario de l’attaque déjouée et le lourd tribut payé par la Garde républicaine, une nuée de commentaires sceptiques et moqueurs, émanant de comptes affiliés à l’AES ou à leurs soutiens, a envahi les réseaux sociaux. On y a vu fleurir des théories du déni, remettant en cause la réalité même de la tentative de putsch, ou pire, exprimant une déception à peine voilée de son échec. Cette posture n’est pas anodine. Elle traduit une vision où l’instabilité d’un voisin perçu comme proche des « anciennes puissances » serait, à tort, considérée comme une validation de leur propre discours anti-impérialiste et de leur rupture avec la CEDEAO.
Le paradoxe de la condamnation qui révèle tout
Le paradoxe – ou l’incohérence – atteint son comble avec la réaction à la révélation de l’appui technique et logistique qui a contribué à la déroute des mutins. Face à la nouvelle de la mobilisation de la Force en attente de la CEDEAO et d’un soutien technique français (lié aux accords de défense existants), l’indignation a été feinte ou réelle dans les cercles de l’AES. On a alors crié à « l’ingérence criminelle », dénonçant un État souverain béninois qui, face à une agression armée interne, a activé les mécanismes de coopération régionale et bilatérale à sa disposition pour sa légitime défense.
Cette indignation est éclairante. Elle suggère que, selon cette logique, un gouvernement légitime attaqué devrait refuser toute aide extérieure et affronter seul le péril, au risque de s’effondrer. Une position intenable qui trahit moins un souci de souveraineté qu’une idéologie du rejet systématique. Puisque le Bénin coopère avec des institutions (CEDEAO) et un partenaire (la France) que l’AES a diabolisés, alors tout ce qui en émane, y compris le sauvetage d’une démocratie, devient suspect. Leur boussole n’est donc plus la défense des régimes élus, mais l’opposition frontale à tout ce qui symbolise l’ordre ancien.
La solidarité sélective, ou l’amour toxique des voisins
Cette attitude relève d’une solidarité régionale à géométrie variable, teintée d’un paternalisme inquiétant. Elle fait écho à un narratif où les dirigeants de l’AES se présentent comme les seuls détenteurs de la « vraie » souveraineté africaine, imposant leur vision aux autres. Ils semblent plus préoccupés par la situation des autres – qu’ils jugent avec sévérité – que par le bonheur de leurs propres peuples, confrontés à des défis sécuritaires et humanitaires immenses. C’est un « amour » toxique qui, sous couvert de fraternité anti-impérialiste, souhaite en réalité voir les autres trébucher pour valider son propre chemin chaotique.
Face à cela, la démarche du gouvernement béninois mérite d’être saluée pour sa clarté et son efficacité. Le Président Patrice Talon a d’abord fait primer la protection des institutions et des vies humaines, en utilisant tous les leviers légitimes à sa disposition. Il a ensuite apporté une communication transparente, détaillant les faits sans triomphalisme excessif. Enfin, il a rappelé son attachement à la coopération sous-régionale, tout en maintenant la porte ouverte au dialogue avec tous ses voisins, y compris l’AES, sur la base du respect mutuel et des principes démocratiques.
Le problème de l’AES face au coup d’État déjoué au Bénin n’est donc pas stratégique, mais profondément idéologique et politique. Il révèle une frange radicale qui préfère l’instabilité d’un voisin démocratique à sa stabilisation par des acteurs qu’elle rejette. En refusant de célébrer un échec du putschisme, ces voix prennent le risque dangereux de normaliser la violence comme moyen de transition politique. La leçon du Bénin est au contraire celle de la résilience : une armée républicaine loyale, une alerte rapide et une coopération internationale ciblée restent, aujourd’hui encore, les remparts les plus sûrs contre l’obscurantisme des armes. L’AES, dans son intérêt bien compris et celui de la région, gagnerait à en prendre acte.
WM



