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Société

Entretien avec Saïdou Sabi Boun/Des origines du virus responsable de la COVID-19 : entre les théories du complot et ce que l’on sait réellement ?

En mai 2020, à moins d’appartenir au camp des personnes qu’on appelait « gentiment » les complotistes, personne ou presque ne prenait au sérieux les assertions de Donald Trump, président des États-Unis, affirmant que le virus de la COVID-19 serait la conséquence d’une manipulation de laboratoire. Dans ce discours, le Président Trump avait au demeurant projeté des taxes coercitives contre la Chine après avoir, dit-il, vu des choses qui l’amenaient à penser que le nouveau coronavirus s’était échappé d’un laboratoire chinois à Wuhan. Pourtant, plus de 2 ans après cette sortie du Président Trump, du moins controversée, les origines du virus ayant fait plus de 6 millions de morts dans le monde demeurent incertaines. Ce n’est pas la faute d’avoir essayé.

Chronologies des épidémies causées par les coronavirus et chaîne de transmission

La maladie à coronavirus connu sous le nom de COVID-19 a été déclarée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme étant une pandémie mondiale en mars 2020. Il s’agit d’une maladie infectieuse causée par un nouveau virus responsable d’un syndrome sévère respiratoire aigu (Severe acute respiratory syndrome), nommé SRAS-CoV-2. C’est la 3e épidémie causée par des virus de la même famille en deux décennies. La première épidémie a été causée par le virus, dénommé SRAV-CoV-1, apparu la première fois dans la province de Guangdong en Chine en novembre 2002. Il aurait contaminé plus de 8000 personnes dans 26 différents pays, et entraîné près de 800 décès. La deuxième, en 2012, le MERS-CoV (Middle East respiratory syndrome coronavirus) avait généré le syndrome respiratoire du Moyen-Orient et entraîné plus de 850 décès, dans 27 pays du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie du Sud en novembre 2019. Maintes tentatives d’explications ont été évoquées pour expliquer le passage du SRAS-CoV-2 de son réservoir naturel à l’humain. Le réservoir naturel est l’hôte qui héberge le virus de façon naturelle sans faire de symptômes et/ou sans développer la maladie. Dans le cas des coronavirus, il a été longuement documenté que le réservoir naturel est la chauve-souris qui abrite naturellement le virus. Dès lors, pour infecter l’humain, les coronavirus ont besoin d’un hôte intermédiaire. Il s’agit de l’hôte qui héberge la forme et les stades précurseurs adultes du virus. L’existence de l’hôte intermédiaire est primordiale dans la chaîne de transmission d’un virus à l’humain, notamment dans le cas des coronavirus. L’hôte intermédiaire est un animal qui contribue à rendre le virus mieux adapté à l’humain avant de le lui transmettre. Pour le SRAS-CoV-1, l’hôte intermédiaire est la civette[1], alors que pour le MERS-CoV, l’hôte intermédiaire est le dromadaire, qui transmet l’infection à l’homme. Toutefois, depuis bientôt 3 ans après l’apparition du SRAS-CoV-2, son hôte intermédiaire reste inconnu du monde scientifique. La théorie la plus connue et la plus avancée est une transmission via le pangolin, retrouvé dans les marchés d’animaux vivants de Wuhan. Cependant, plus de 80 000 prélèvements effectués dans les sites fauniques et dans les fermes d’animaux en Chine se sont tous avérés négatifs excluant la piste du pangolin et toutes les autres pistes animales évoquées. Comment alors le SRAS-CoV-2 a-t-il été transmis à l’homme, si une transmission directe de la chauve-souris à l’homme paraît improbable ? Pourquoi a-t-on exclu une manipulation génétique du virus de la COVID-19 et/ou une fuite du virus d’un laboratoire, notamment celui de Wuhan ?

Analyse de la chronologie des évènements 

En février 2020, au début de la pandémie, le Lancet publiait une lettre, chapeautée par Peter Dazack[2], dans laquelle 27 auteurs défendaient l’hypothèse de l’origine animale du SRAS-CoV-2 et désignaient par ailleurs toutes autres visions alternatives comme étant des théories du complot. En d’autres termes, pour les auteurs de cette lettre, le virus de la COVID-19 aurait pour hôte intermédiaire un animal et prétendre le contraire serait tremper dans les théories conspirationnistes. Ces déclarations, faites au commencement de la pandémie, ont produit comme conséquence la réduction au silence de nombreux scientifiques, qui avaient pourtant des raisons de penser que le virus avait été manipulé génétiquement et/ou qu’il se serait échappé d’un laboratoire. Ceux-ci avaient, peut-être aussi, dans une idée de restreindre la désinformation au sujet de la COVID-19, de diminuer la défiance grandissante des populations envers les autorités sanitaires qui se répandait à grande vitesse sur les médias sociaux, préféré ne pas exposer leurs théories au grand jour. Le monde médiatique, en ce moment-là, a tôt fait de s’emparer des déclarations de ces 27 auteurs, discréditant largement l’hypothèse de la manipulation génétique et/ou de la fuite de laboratoire à la pléthore de rumeurs aussi saugrenues les unes que les autres et aux fausses nouvelles qui se multipliaient exponentiellement à l’époque. Le consensus scientifique semblait obtenu quant à l’origine zoonotique de la COVID-19. D’ailleurs à cette période, très peu de gouvernements ou de scientifiques s’occupaient de l’origine du SRAS-CoV-2, ou seulement à la marge. Ainsi, lorsque Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008, pour sa participation à la découverte du VIH, mais fortement contestée par ses pairs sur la mémoire de l’eau, affirmait que le SRAS-CoV-2 avait été manipulé génétiquement, il a vite été accusé de « vieux sénile » et de « complotiste », par de nombreux scientifiques adeptes de la théorie d’une maladie zoonotique. D’ailleurs, quelques semaines plus tard, la publication du Washington-Post le 14 avril 2020 était passée inaperçue en raison du bruit médiatique dû à la gestion quotidienne de la pandémie. Dans son édition en ligne, il révélait des notes diplomatiques de 2018, de l’ambassade des États-Unis à Pékin qui alertait le département d’État américain, sur les mesures de sécurité insuffisantes dans le laboratoire P4 de Wuhan, qui étudiait le coronavirus sur les chauves-souris[3]. Le laboratoire P4 de Wuhan fait partie d’une trentaine de laboratoires dans le monde qui manipule des virus extrêmement dangereux caractérisés par quatre paramètres : (1) un taux de mortalité très élevé en cas d’infection, (2) une absence de protection par absence de vaccins, (3) une absence de traitement médical en cas de contamination, (4) et une possibilité de transmission du virus par aérosol. C’est alors, qu’en mars 2021, la visite conjointe de l’OMS et des scientifiques chinois rejetât d’office l’hypothèse de la fuite de laboratoire en privilégiant l’hypothèse d’une origine animale, ou une importation du virus en Chine par le truchement des surgelés ou de la chaîne du froid. Les vives critiques d’une partie du monde scientifique et diplomatique[4], de ce rapport pour sa partialité vis-à-vis de la Chine, ont d’ailleurs amené le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a déclaré que toutes les hypothèses restaient sur la table, y compris celle d’une fuite de laboratoire. En conséquence dans son deuxième rapport rendu public en juin 2021, l’OMS recommandera des actions supplémentaires pour évaluer la possibilité de fuite du laboratoire du SRAS-CoV-2 et de toutes les autres voies de transmission possible. Concomitamment, en mai 2021, le Wall Street Journal affirmait avoir eu accès à des notes des services secrets américains selon lesquelles 3 chercheurs de l’institut de virologie de Wuhan, qui abritait le laboratoire P4, avaient été atteints dès novembre 2019 de symptômes compatibles avec ceux de la COVID-19[5]. Ces informations ont immédiatement été rejetées par Pékin, qui dénonça des théories complotistes. Pourtant, juxtaposés, ces faits sont déroutants et peuvent interroger, notamment, parce qu’en 2016, plusieurs publications avaient documenté, la collecte d’un virus identique à 96 % à celui de la COVID-19 dans une mine de charbon abandonnée et infestée par les chauves-souris. Le virus, qui avait fait 3 décès sur 6 personnes contaminées, avait été collecté puis stocké pour être étudié à l’institut virologique de Wuhan[6].

Le site de clivage de la furine, de quoi s’agit-il ?

Le dernier point de questionnement sur l’hôte intermédiaire du SRAS-CoV-2 réside dans ses séquences génétiques. En le comparant aux premiers coronavirus responsables d’une grippe chez l’homme (SRAS-CoV-1 et MERS-CoV), des chercheurs ont trouvé que les séquences génétiques du SRAS-CoV-2 différaient des deux premiers en raison de la présence du clivage de furines. Les furines sont des séquences de codes génétiques qui expliquent le mécanisme pathogène et donc l’infectiosité du SRAS-COV-2. En d’autres termes, le SRAS-CoV-2 se transmet plus facilement que les autres coronavirus en raison d’une séquence inhabituelle dans son code génétique qui le rend plus transmissible. Les furines améliorent ainsi la capacité du virus à pénétrer et à infecter les cellules humaines. La question angoissante que l’on pourrait se poser alors est de savoir si la présence des furines dans les SRAS-CoV-2 est due à une manipulation humaine ou à une évolution normale du virus. En d’autres termes, le SRAS-CoV-2 a-t-il évolué naturellement ou des furines ont-elles été introduites dans le virus par la suite d’une manipulation de laboratoire ? Cette question qui paraît étrange en appelle une autre. Pourquoi des scientifiques feraient-ils une chose aussi dangereuse en essayant d’insérer des furines dans le code génétique du SRAS-CoV-1 ? Pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, l’insertion des furines dans le code génétique du SRAS-CoV-1 était l’un des objectifs d’une équipe de recherche américano-chinoise, utilisant la biotechnologie développée par des scientifiques américains.

Le projet DEFUSE, projet dangereux et conflit de rôles ?

Entre 2004 et 2015, plusieurs projets d’insertion des furines dans des virus autres que des coronavirus avaient été menés, dans le but d’augmenter la capacité de ces virus à causer une maladie par augmentation de leur pathogénicité et/ou de leur transmissibilité. Ces expériences scientifiques appelées « gain de fonction » (GoF) ont, entre autres, pour objectif d’anticiper l’évolution de certains virus pour une production de vaccins. Ainsi, la déclassification du projet DEFUSE (Defusing the Threat of Bat-born coronaviruses), née de la coopération avortée, entre d’EcoHealth Alliance, dirigée par Peter Daszak, et l’US Army montre bien que les projets d’insertion des séquences de furines dans le SRAS-CoV-1 ont bien existé. Ces projets devaient se dérouler dans le laboratoire P4 de Wuhan, et faisaient partie d’une recherche scientifique active et hautement collaborative entre les États-Unis et la Chine. Le département d’État américain avait refusé de le financer, mais rien n’indique qu’il n’a finalement pas été financé par d’autres institutions et/ou gouvernements. Peter Daszak était donc non seulement le chercheur principal du projet DEFUSE, mais aussi, celui qui avait coordonné deux publications dans le Lancet, traitant de complotistes, ceux qui prétendaient à une manipulation génétique et/ou à une fuite de laboratoire du virus de la COVID-19. En outre, il est également un membre de haute volée de l’équipe diligenté par l’OMS pour les recherches sur l’origine du virus à Wuhan. Laconiquement, un scientifique américain ayant travaillé sur une biotechnique d’insertion des furines dans le SRAS-CoV-1 était l’un de ceux qui avaient le plus combattu cette théorie, sans le déclarer. Pourquoi l’existence du projet DEFUSE n’a-t-elle pas été rendue publique au début de la pandémie ? Quel effet aurait eu cette information sur la lutte contre la pandémie ? Sur l’attitude d’une partie de la population mondiale déjà réticente vis-à-vis des mesures de restriction imposées pendant la pandémie ? Comment Peter Daszak, promoteur du projet DEFUSE, se retrouve-t-il à être le principal défendeur de l’origine zoonotique du SRAS-CoV-2 ? Voilà autant de questions qui demeureront probablement sans réponses satisfaisantes. Néanmoins, ce potentiel conflit d’intérêts des deux rôles a priori antithétiques de Peter Dazack peut pour le moins interroger.

Pour notre part, nous pensons qu’afin de prévenir les futures pandémies, de réduire leur potentiel infodémique, de réduire la méfiance des populations concernant des scientifiques, l’OMS, les parties prenantes et l’ensemble des états membres devront trouver une façon de ramener une conversation équilibrée permettant aux chercheurs du monde entier de travailler sans pressions politiques. Il est plausible que les recherches sur l’origine du SRAS-CoV-2 piétinent en raison du blocage de certains états et/ou institutions. Les journalistes et les médias devraient également jouer chacun leurs partitions en rapportant l’information, les débats ou les controverses du monde scientifique de façon juste et pertinente permettant aux populations une objective appréciation des faits. Enfin, être qualifié de complotiste, devenu radioactif, ne devrait plus être employé comme une arme pour déconsidérer des scientifiques, qui ont pourtant des raisons légitimes de douter d’une version officielle d’une information. Au bout du compte, la meilleure façon de lutter contre les théories du complot, l’infodémie et la désinformation dans le domaine de la science serait de créer des conditions saines pour un débat transparent entre experts, permettant de facto, par une remise en question permanente des vérités scientifiques, une évolution de la connaissance. Cela est réel dans le cas de la recherche menée sur les origines du virus de la COVID-19, mais aussi dans les recherches menées dans d’autres domaines comme la lutte contre le réchauffement climatique et l’écologie.

Saïdou Sabi Boun

Pharmacien, spécialiste en santé publique,

Développement international

Candidat au Doctorat en mondialisation


[1] Un petit mammifère proche de la belette que l’on trouvait couramment sur les marchés de Canton (sud).

[2] Peter Dazack est le coordonnateur de « EcoHealth Alliance », une organisation à but non lucratif de santé environnementale dédiée à la protection de la faune, à la santé publique et à la lutte contre l’émergence de maladies zoonotiques.

[3] De Josh Rogin disponible sur https://www.washingtonpost.com/opinions/2020/04/14/state-department-cables-warned-safety-issues-wuhan-lab-studying-bat-coronaviruses/

[4] Déclaration commune faite par les gouvernements des États-Unis d’Amérique, de l’Australie, du Canada, de la Tchéquie, du Danemark, de l’Estonie, d’Israël, du Japon, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Norvège, de la République de Corée, de la Slovénie et du Royaume-Uni. À lire sur https://www.state.gov/joint-statement-on-the-who-convened-covid-19-origins-study/

[5]De Michael R. Gordon, Warren P. Strobe et Drew Hinshaw, disponible sur https://www.wsj.com/articles/intelligence-on-sick-staff-at-wuhan-lab-fuels-debate-on-covid-19-origin-11621796228

[6] Rahalkar, M. C., & Bahulikar, R. A. (2020). Lethal pneumonia cases in Mojiang miners (2012) and the mineshaft could provide important clues to the origin of SARS-CoV-2. Frontiers in public health, 638.

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