Alors que le polémiste panafricaniste Kémi Séba critique à bout de champ le pouvoir en place au Bénin pour un « oui » ou pour un « non », un retour sur ses déclarations passées offre un contraste saisissant. En 2021, au lendemain de l’élection présidentielle, l’essayiste et président de l’ONG Urgence Pan-Africaniste tenait des propos élogieux sur le président Patrice Talon, lors d’une interview accordée à l’émission « Gros Plan ». Des archives qui résonnent étrangement avec son positionnement actuel et interrogent sur la constance de son discours.
Un panafricaniste en terrain d’entente avec le pouvoir
Invité en studio, Kémi Séba avait alors clairement pris ses distances avec l’opposition béninoise, incarnée par des figures comme Reckya Madougou. « Je ne me reconnais pas […] en une personne comme Reckya Madougou », affirmait-il, évoquant des divergences « sur le terrain idéologique ». Son analyse portait un regard sévère sur la stratégie des détracteurs du régime : « l’opposition, en ayant systématiquement une démarche d’être dans l’attaque ad hominem […] et de ne pas reconnaître ce qui a pu être fait de bien par ce régime, a perdu du crédit ».
Le contraste avec l’ancien président Thomas Boni Yayi était au cœur de son argumentation. Séba fustigeait sans ambages l’image donnée par son prédécesseur : « Yayi Boni […] donnait l’impression de jouer à l’âne pour obtenir du foin des institutions internationales ». Une posture qu’il opposait radicalement à celle de Patrice Talon, salué comme un homme d’affaires et un chef d’État fort : « Patrice Talon arrive, ce n’est pas quelqu’un qui joue à l’âne pour obtenir du foin. Il faut être capable de le reconnaître ».
Des réformes saluées et un rejet des offres de déstabilisation
L’essayiste reconnaissait les avancées du mandat de Talon, notamment sur le plan économique : « Aujourd’hui, on est devenu le deuxième pays en ce qui concerne la production de cultures vivrières dans la zone de la CEDEAO, ça c’est le président Patrice Talon ».
Fait marquant, Kémi Séba révélait avoir refusé des offres financières substantielles pour « déstabiliser » le Bénin. Justifiant son refus, il déclarait : « Parce que le Bénin n’est pas un pilier de la Françafrique ». Tout en maintenant des critiques sur la proximité du régime avec « un certain nombre d’Occidentaux », il balayait toute assimilation aux régimes qu’il combat : « Dire que le régime Patrice Talon est un pilier de la Françafrique […] ça serait de la malhonnêteté crasse. Patrice Talon est quelqu’un qui, j’en suis convaincu, aime l’Afrique, aime son peuple ».
Un discours passé qui interpelle le présent
Ces déclarations datant de 2021 posent une série de questions à la lumière du positionnement actuel, beaucoup plus hostile, de Kémi Séba envers le gouvernement béninois. Pourquoi un tel revirement ? S’agit-il d’une réaction à l’évolution du régime, perçu comme plus autoritaire, notamment après les législatives de 2023 et les tensions politiques qui ont suivi ? Ou doit-on y voir une forme d’opportunisme, ce que ses détracteurs qualifieraient d’« idéologie du ventre » – une adaptabilité des principes aux circonstances et aux intérêts du moment ?
La relecture de ces archives sonores invite à une réflexion sur la complexité et parfois les contradictions des parcours militants. Elle souligne également à quel manière la perception d’un pouvoir peut évoluer, basculant du statut de « nécessaire chef d’État fort » à celui de « pilier autoritaire », en fonction des événements et des lignes rouges franchies. Le cas de Kémi Séba et de Patrice Talon reste un exemple frappant de ces reconfigurations permanentes dans le paysage politique africain.
WM



