« Les jeunes générations ne supportent plus que l’Afrique soit traitée comme un continent de seconde zone. Quand le Président Sassou N’GUESSO vient en France, on crie au droit de l’homme, par contre lorsque le prince Mohammed Ben Salmane foule le sol français, personne ne parle de l’affaire Khashoggi, On peut saisir l’avion de ce prince à Paris ? On s’étonne que les pays africains tendent les bras aux Russes, de qui se moque-t-on ? »
Déclare Spécialiste en Conseils stratégiques aux entreprises voulant s’implanter dans certains pays africains, Edgard KPATINDE, dans une interview consacrée à la visite d’Emmanuel Macron dans certains pays d’Afrique à savoir : le Cameroun, le Bénin et la Guinée Bissau. Dans cette interview, il permet d’avoir une autre lecture de la vision des Africains des relations avec la France.
Monsieur KPATINDE, le Président Emmanuel MACRON sera reçu ce Mercredi matin par son homologue Patrice TALON, après son séjour au Cameroun et avant de se rendre en Guinée-Bissau, jeudi. Quel sens donnez-vous à cette visite au Bénin et comment en tirer les meilleures perspectives ?
Cette visite s’inscrit dans un contexte difficile pour la France, très chahutée au Sahel et confrontée à une franche hostilité de franges importantes de nos populations, notamment parmi les jeunes urbains. Beaucoup d’erreurs ont été commises. Je sais qu’il est facile d’accuser les Français d’arrogance mais il faut reconnaître que parfois ils s’acharnent tellement à coller à leur caricature que s’en est désespérant.
Les jeunes générations ne supportent plus que l’Afrique soit traitée comme un continent de seconde zone. Quand le Président Sassou N’GUESSO vient en France, on crie au droit de l’homme, par contre lorsque le prince Mohammed Ben Salmane foule le sol français, personne ne parle de l’affaire Khashoggi, On peut saisir l’avion de ce prince à Paris ? On s’étonne que les pays africains tendent les bras aux Russes, de qui se moque-t-on ?
La vérité est que la France n’a plus de vision claire de ses relations avec l’Afrique et que depuis le Président Chirac, la connaissance des hommes fait trop souvent défaut. La France a vrai dire, n’a plus d’archives. Prenons un exemple : lorsqu’un ambassadeur français arrive en poste, s’il est passionné de pétanque, il préfère rechercher dans son environnement les joueurs de pétanque et continuer à
vivre cette passion-là, alors que par le passé, son prédécesseur lui laisse des archives. Il sait ceux qui peuvent l’aider à décoder l’environnement culturel du pays où il vient de s’installer. C’est comme ça que les choses fonctionnaient par le passé.
Le Président Macron lui-même, et cela partait d’un bon sentiment sans doute, s’était vanté qu’avec lui, il n’y aurait plus de politique africaine de la France. On voit le résultat. La France est conspuée partout sur le continent. La diplomatie du coup de menton ne mène nulle part. On ferait bien de s’en souvenir, en France comme dans certains pays de la région qui ont oublié la fable du rat et de l’éléphant…
Et pourtant, la France reste notre meilleur allié, j’en suis convaincu. D’abord parce que, et je sais que je vais faire hurler, elle est l’un des rares pays à avoir un agenda qui ne soit pas dicté exclusivement par ses intérêts mercantiles. Regardez son investissement, colossal à l’échelle de ses moyens, en matière de santé globale, de lutte contre les maladies infectieuses, c’est très impressionnant. Ensuite, parce que, nolens, volens, nous avons une langue, une histoire, de multiples histoires en commun. C’est un socle sur lequel nous pouvons bâtir. Plutôt que de nous payer de mots, essayons de trouver des mécanismes simples et efficaces faisant appel aux meilleures ressources du public et du privé pour faire enfin sauter les goulots d’étranglement qui sont un frein au développement dans trois domaines cruciaux pour notre développement économique et social : l’accès à l’électricité, le traitement de l’eau, le traitement des déchets, trois domaines dans lesquels la France est au premier rang mondial. Il est anormal que plus de 60 ans après les indépendances, nos villes, dans l’indifférence totale des acteurs nationaux et internationaux, soient des égouts à ciel ouvert et que nos enfants meurent encore de maladies hydriques.
Nous pouvons y travailler avec la France. Quand je vois la rapidité avec laquelle l’Europe a pu mobiliser des fonds colossaux pour l’Ukraine en dehors de toutes procédures, je me dis que débloquer les quelques dizaines de millions d’euros pour faire les études permettant de construire enfin les usines de traitement dont nous avons besoin à l’échelle du pays et de la sous-région ne devrait pas être quelque chose d’impossible à faire. Il n’y a pas de raison de ne pas y arriver. Il revient à chaque pays de défendre les intérêts qui sont les siens pour la survie de sa culture et des générations futures. Les Africains doivent prendre eux-mêmes conscience des responsabilités qui sont les leurs s’ils veulent réellement avancer.
Les Vietnamiens qui ont connu les pires atrocités, ne passent pas leur temps à se victimiser et à vilipender leurs bourreaux d’hier. Ils se sont mis au travail et ils avancent. Un pays c’est aussi cela. L’Afrique est dans une situation catastrophique. Et pourtant ce continent est riche en ressources humaines et en ressources naturelles ;
Les questions de sécurité dans le Golfe de Guinée, devraient être aussi au cœur des échanges entre le Président français et ses homologues africains.
Les esprits simples racontent que le Président français vient pour négocier l’installation d’une base militaire au nord du Bénin. Parlons de choses sérieuses.
La lutte contre le terrorisme est un sujet vaste et très pointu pour être traité par les spécialistes de WhatsApp.
Dans le cadre régional, nous avons le G5 Sahel qui est l’un des dispositifs de coopération entre les Etats du sahel dans la lutte contre le terrorisme et sa stabilisation dans la région. Ce dispositif concerne le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger. J’avais suggéré aux plus hautes autorités militaires que le Bénin puisse y être admis comme observateur. On apprend toujours dans ce genre de forum, en tout cas mieux que les forums WhatsApp qui sont un frein à la réflexion et un danger pour la jeunesse de nos pays.
Ce qui se passe dans ces pays est horrible, vous avez de tout, des trafiquants de drogues, et de cigarettes contrefaites, des trafiquants d’être humain, des bandits armés, des groupuscules ethniques avec la vengeance au cœur dans une zone qui physiquement est plus immense que l’Europe. Observez les indices de développement de ces pays, c’est la catastrophe, et le terrorisme se nourrit aussi de cela.
On n’insistera jamais assez sur la mutualisation du renseignement, cela va au-delà des rares et exceptionnelles rencontres des services spéciaux de ces pays. La mutualisation entraine nécessairement une certaine harmonisation dans les techniques de luttes et de recherche de solution face à cette gangrène. Si au moment où le Président BAZOUM du Niger mène une lutte acharnée contre les terroristes, son voisin burkinabé négocie via des structures occidentales avec les terroristes, ça ne marchera pas. C’est uni qu’on remporte une guerre, fut-elle asymétrique.
Les négociations entrainent souvent une surenchère, une escalade car on veut venir à la table des négociations en force.
Un mot sur le retour des trésors royaux et l’engouement que cela suscite. Que pensez-vous de cette politique patrimoniale et touristique du gouvernement TALON qui a été ainsi encouragé par le Président Emmanuel Macron avec la restitution des 26 premières œuvres en Novembre 2021.
C’est quand même étonnant que presque personne ne félicite le Président Macron alors qu’il est allé à contre-courant pour que ces trésors soient restitués. Ses prédécesseurs n’étaient pas allés aussi loin dans leurs promesses et leurs engagements. Profitons de cette occasion pour lui tirer chapeau. Il a montré qu’avec une nouvelle génération tout est possible.
Je dois reconnaître aujourd’hui que le Président Talon a donné au Bénin une exposition exceptionnelle par cette démarche qu’il a menée avec détermination. On ne peut que l’en féliciter.
J’avais exprimé des réserves sur, non pas le retour de ces œuvres, mais l’environnement dans lequel celui-ci allait intervenir. Techniquement, l’environnement muséographique qui n’était pas et n’est toujours pas prêt. J’avais encore en tête, le drame survenu en république démocratique du Congo, où les 25.000 pièces et œuvres d’art du Musée de Gungu, le plus grand musée privé de ce pays ont été entièrement détruits dans un incendie. Personne ne verra plus jamais les célèbres masques de la tribu Pende. Et sociologiquement, car le discours autour du retour de ces œuvres était en voie d’hystérisation comme si récupérer ces œuvres était une gifle donnée au colonisateur. Il m’a toujours semblé que c’était un combat d’arrière-garde et que nous perdons du temps. L’Africain n’est jamais responsable de rien. Tous ses malheurs, viennent des autres. C’est tellement facile de penser ainsi. C’est pour moi une paresse intellectuelle coupable. Comme si avant même la colonisation les rois locaux ne se livraient pas des guerres sans merci. Comme si nous étions une nation unie que le colonisateur aurait détruite…
Je détiens la première toile d’armoiries dans lesquelles figurent les souverains Adandozan et Tassi Hangbè. Des historiens béninois m’ont dit que je risquais l’empoisonnement, eh bien, la honte est dans leur camp. Le combat que je mène, c’est un combat culturel, c’est un combat pour la mémoire de et dans mon pays. Aujourd’hui tout le monde parle de Tassi Hangbé. Je renvoie les nouveaux convertis à des interviews que j’ai données il y a 12 ans déjà. Que l’on ne vienne pas me donner de leçon sur le patriotisme culturel. Simplement, je ne suis pas pour la mémoire sélective.
Adandozan mérite autant qu’un autre de figurer dans nos lignées royales. Il a tout de même régné vingt ans. Et les travaux de Pierre Fatumbi Verger semblent indiquer que s’il a été voué aux gémonies, c’est en partie parce que la traite négrière se portait plutôt moins bien sous son règne… Vrai ou faux, il est temps que nous assumions notre histoire, toute notre histoire, sans jeter l’anathème sur les uns ou les autres. Être béninois, c’est être l’héritier d’une histoire riche et complexe, riche car complexe.