63 après les indépendances, les choses sont radicalement différentes de ce qu’elles étaient dans les premières années qui ont suivi les indépendances. Tout calcul fait on peut dire qu’en ce laps de temps, c’est deux générations d’Africains et de Français qui se sont succédé.
Ce sont donc mathématiquement deux façons de voir les relations qui devraient s’être renouvelées. Or, du côté français, malgré les discours mielleux, on affiche toujours cette attitude paternaliste, un tantinet infantilisant sur tout ce qui concerne l’Afrique. Hélas, 63 plus tard, l’Afrique francophone demeure, pour les dirigeants de la France d’hier et d’aujourd’hui, une cour de récréation. Ce qui explique qu’alors qu’elle devrait s’affirmer comme solidaire des problématiques Africaines francophones, elle, dans une forme de nombrilisme suranné, ne voit que les avantages qu’elle peut tirer de chaque situation. A l’époque, un dirigeant français, le Général De Gaulle, avait dit « la France n’a pas d’ami, elle n’a que des intérêts». On comprend qu’à travers les années, de 60 à ce jour, pourquoi elle a fait et défait plus d’un régime. Sacrifiant des générations entières d’Africains aux mains de dictateurs de tout acabit, assoiffés de sang et ayant des comptes offshores et des résidences en France. Nous ne les citerons pas ici, ce n’est pas l’objet.
60 années, plus tard, les élites africaines, et même les masses africaines ont acquis plus d’instructions, se sont ouvertes et ont une opinion. Oui, on peut dire qu’il existe de façon claire une opinion africaine qui n’est pas toujours là où les intérêts scabreux de quelques apparatchiks pourraient se trouver. Une montée en puissance de jeunes penseurs libres défendant la cause africaine est aussi survenue. Sans compter le développement phénoménal des réseaux sociaux, autant de choses qui ont bouclé la boucle infernale de la circulation de l’information. Désormais, tout le monde sait avec une précision d’horloger que Macron peut se taire sur la pagaille de Ouattara pour un 3ième mandat, cautionner la candidature d’Ali Bongo pour un 3ième mandat pourtant impotent, se révolter contre celle de Bouteflika ( lui aussi impotent à l’époque des faits), et encourager la succession de Déby fils à la place de Déby père, fermer les yeux sur les candidatures répétitives du doyen Camerounais Paul Biya et menacer les responsables des coups d’Etat au Mali, au Burkina au Niger et dans le même temps oublier le cas guinéen. Bref une démarche serpentine, incohérente à première vue, mais qui répond à une seule logique, la préservation des intérêts de la France. De Gaulle doit être fier de sa succession. Toujours ses intérêts, tant qu’ils peuvent être préservés, la France pourtant si attachée à l’Afrique, ne voit pas la nécessité d’intervenir pour rétablir le bon sens. Le bon sens plutôt que l’ordre constitutionnel. Car en Afrique francophone, il y a longtemps que le groupe de mots ‘’ordre constitutionnel’’ ne veut plus rien dire. Les résultats des élections ne répondent pas à l’expression des votes des populations, mais aux désirs de la machinerie électorale mise en place par les hommes au pouvoir. Résultat des courses, les systèmes démocratiques sont plus fragiles que ceux de leurs homologues anglophones, pourtant plus récents. Aujourd’hui, la France perd du terrain en Afrique Francophone qui est pourtant sa cour de récréation préférée, à cause de sa propension à ne voir que ses intérêts partout, même où elle ne devrait pas. Les temps changent, les générations aussi, ainsi à force d’avoir cette trajectoire contradictoire, elle s’est forgé dans le subconscient des plus jeunes une réputation d’Etat fourbe sur lequel on ne peut véritablement compter.
Eric TCHIAKPE (Auteur et Ecrivain)