Alors que le Bénin s’engage résolument vers l’accès universel à l’électricité avec son programme « Énergie pour tous », un double fléau menace cet élan : le vol organisé d’énergie et le rançonnement systémique des usagers. Dans une interview exclusive accordée à Radio Cotonou, Thierry Caudot, Directeur de l’Éthique et de la Conformité à la Société Béninoise d’Énergie Électrique (SBEE), dresse un constat alarmant et propose des pistes concrètes..
Qu’est-ce que le vol d’énergie électrique ?
Selon M. Caudot, en se basant sur le Code Pénal qui définit le vol comme la « soustraction frauduleuse des choses appartenant à autrui », le vol d’énergie électrique peut être caractérisé comme la « soustraction frauduleuse d’énergie appartenant à la SBEE ». Ce délit se manifeste sous deux formes principales :
- Le vol de matériel (vandalisme) : Il s’agit de la dégradation ou du vol d’ouvrages et d’équipements de la SBEE, affectant directement la fourniture d’électricité aux clients.
- Le vol d’énergie à proprement parler : Ce type de vol se présente de deux manières distinctes :
- Le « piquage » : Une prise directe d’énergie avant le compteur, directement sur le réseau de la SBEE.
- L’intervention sur les appareils de comptage : Le mécanisme du compteur est altéré ou trafiqué pour réduire frauduleusement la consommation enregistrée.
Le rançonnement : une pratique inquiétante
Le rançonnement est un autre problème prégnant, exacerbé par la politique gouvernementale de « l’énergie pour tous ». Cette initiative a considérablement réduit le coût des compteurs monophasés 5 et 10 ampères, passant de plusieurs centaines de milliers de francs CFA à seulement 20 000 FCFA. Ce montant se décompose en 10 000 FCFA pour Contolec (vérification des installations intérieures et délivrance du certificat de conformité) et 10 000 FCFA pour la SBEE (pose du compteur).
Cependant, cette baisse des prix a paradoxalement ouvert la voie à des pratiques de rançonnement. Des individus malveillants, se faisant parfois passer pour des agents ou des prestataires, exigent des clients des sommes bien supérieures (50 000, 70 000, voire 100 000 FCFA), prétextant la nécessité de « mouiller » les responsables de la SBEE pour accélérer le processus de raccordement ou de dépannage. M. Caudot souligne que le rançonnement se manifeste à toutes les étapes, de la demande de devis (désormais gratuite pour les compteurs 5 et 10 ampères) à la pose du compteur, et même lors des opérations de dépannage.
M. Caudot a également clarifié le rôle des charges fixes, souvent mal comprises par les consommateurs. Ces charges, payées même en l’absence de consommation, sont essentielles pour l’entretien des installations intérieures et la maintenance des équipements. Elles couvrent par exemple le remplacement sans frais des compteurs défectueux, des disjoncteurs ou des câbles de raccordement du poteau au compteur. Elles ne sont en aucun cas destinées à des opérations superficielles comme le « dépoussiérage » du compteur.
Comment identifier un vol d’énergie ?
Détecter un vol d’énergie n’est pas toujours aisé, mais certains signes peuvent alerter. M. Caudot cite l’exemple d’un colocataire disposant d’appareils énergivores (climatiseur, réfrigérateur, etc.) mais n’achetant que de faibles montants de crédit (1 000 ou 2 000 FCFA par mois), alors que les charges fixes (1 180 FCFA pour un compteur 10 ampères monophasé) représentent une part significative de ce montant. Une comparaison des factures entre colocataires, où l’un consomme beaucoup moins malgré plus d’appareils, peut également être un indicateur. Il précise toutefois qu’un compteur défectueux peut aussi être la cause d’une consommation anormalement basse, et dans ce cas, la SBEE émettra une facture de rappel de consommation.
Sanctions et lutte contre le fléau
Le vol d’énergie et le rançonnement sont sévèrement punis par la loi béninoise et le code de conduite de la SBEE. Pour les agents de la SBEE impliqués, les sanctions vont du blâme à la radiation. Au-delà des sanctions internes, l’article 87 du Code Pénal prévoit pour le vol d’énergie une peine de prison de 3 à 24 mois et une amende de 1 à 5 millions de FCFA, ou l’une de ces peines. La complicité d’un agent de la SBEE n’est pas nécessaire pour que le délit soit commis, et les personnes radiées ou ayant travaillé pour la SBEE peuvent aussi se livrer à ces pratiques.
La SBEE a mis en place un processus rigoureux pour les « factures de redressement » en cas de vol avéré. Une équipe comprenant des agents de la Direction de l’éthique et de la conformité, un huissier de justice, le CLED et un représentant de l’Agence Nationale de Métrologie constate le vol. Un procès-verbal est dressé par l’huissier, et l’historique de consommation est analysé pour établir la facture de redressement, dont le recouvrement est géré par les directions régionales.
Appel à la dénonciation : la clé de la réussite
M. Caudot a lancé un appel vibrant aux citoyens pour qu’ils dénoncent les cas de rançonnement et de vol d’énergie. Il a rassuré que l’anonymat des dénonciateurs est garanti et que leur identité ne sera jamais divulguée. Mieux encore, une prime de 10% de la facture de redressement est accordée aux dénonciateurs de fraudes.
Pour faciliter ces dénonciations, la SBEE a mis à disposition un numéro WhatsApp et vert : 01 98 89 90 12. Les citoyens peuvent y envoyer des messages ou des audios pour signaler les pratiques illicites dont ils sont témoins ou victimes.
Le vol d’électricité n’est pas une simple infraction technique : c’est un vol de développement pour les écoles, les hôpitaux et les PME béninois. Alors que la SBEE renforce sa lutte, l’éradication durable passera par une mobilisation citoyenne. Comme le rappelle Thierry Caudot : « Dénoncer n’est pas trahir, c’est servir la nation. »